"L’identité ne se lie(lit) pas dans l’arithmétique de tous ses moments éparpillés. La constante évidence du moi à la traversée des évènements qui l’affectent est l’épiphanie d’un Seul multipliée de ses innombrables venues au miroir de la co-naissance… Au réceptacle multiforme des conditions, il se figure par la multiplication même, quoique sans dispersion, des traits de son unique envisagement… Au souvenir rassemblé des expériences, Dieu accorde l’identité et c’est ainsi que « je suis Dieu en personne bien que personne ne soit Dieu ni Dieu (une) personne ».
Le mystère que je reste en moi-même pour moi-même, c’est le Secret d’un Absolu infigurable, qui se donne à co-naître grâce à la vitalité de tous les possibles qu’il actualise à la traversée de ma seule expérience. La conjonction « et » à l’intérieur du binôme un mouvement et un repos, désigne une seule identité et une seule réalité. Néanmoins chacun des deux termes n’est pas l’autre et n’est pas réductible à l’autre. Ni logique ‘physicaliste’, ni explication possible : la preuve s’éprouve à l’épreuve de son irrémédiable négation, toute mesure s’appliquant toujours là et non ici, à la source de pure lumière…
Il aura fallu, étrange et rare alchimie, que les concepts et l’intuition s’enrichissent jusqu’à l’extrême perfection d’eux-mêmes et que s’établisse une sorte de silence logique, l’écho de l’âme qui s’aime d’un amour infini, la Vie comme une réitération de l’Esprit pur, le dialogue d’un nominatif absolu rêvant éternellement sa propre duplication, imaginant les scénarios de l’existence multipliée par le miroir des images. Mais qui a jamais témoigné de ce halo silencieux de pure lumière, nimbant le chant et les couleurs de la vie ? La méditation de la vie sera donc l’élucidation perpétuelle de l’intimité jumelle de moi … et moi, repos et mouvement à la croisée de l’existant et du non-existant. Consonance ou résonance du Seul multiplié des échos innombrables de son chant. Et puisqu’il y a autant de chants que d’instruments, il ne peut y avoir ni programme ni obligation ; il revient à chacun, quand il le peut, d’accorder son instrument à cette musique sans notes… Lorsque la connaissance extrême délivre l’amour, l’amour délivre la liberté. Ainsi naît la vie poétique…
Je devrais dire : le poète, dire : ‘je’... Je suis responsable de la lumière où s’expose l’amour désirant le monde, c’est à dire responsable de moi-même oeuvrant, constituant, signifiant aux horizons de l’existence où je me co(n)nais… L’art est une traduction ou une interprétation de la visibilité du monde, de sa réalité physique, et une régénération de la langue, du vocabulaire, constitués pour le récit de la création et de la présentation… En regard d’un monde offert à l’expérience, l’art veut produire une autre perception de ce monde, et du même coup une autre aperception de moi-même… Ne pas effacer l’objet : simplement le désobjectiver, l’extraire de la perception qui en fait une chose et le rendre au règne de la Vie… Parachever la création, sans distorsion ; expliciter la différence, sans séparation : l’absolu en art, surrection de la vie éternelle.
…
il nous faut admettre ce mystère que je demeure pour moi-même. Bien qu’existant je ne suis pas objet ; existant, multipliant les caractères d’une seule personne ou me dispersant en une foule de personnes toutes pareilles à moi, je ‘mouvemente’ la création grâce aux innombrables modalités de ma conscience… Je ‘mouvemente’ ou si l’on préfère, je donne sens à ce qui serait chaos indifférencié sans le sujet, moi-même, témoin dans l’économie du Seul… ‘Voir’, s’apercevoir que l’Esprit pur est Vie, et qu’il y a création (cette dualité qui s’appelle je-u) et que je suis l’agent de cette création, ‘créateur-créé’ : telle, la splendeur de ma condition…
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